NOS LECTURES PREFEREES
Posté : 11 mai 2011, 03:34
Krishnamurti: La réincarnation ?
Qu'y a-t~il de vrai et qu'y a-t-il de faux dans les théories de la réincarnation ?
J'espère qu'après avoir écouté deux heures et dix minutes, vos esprits sont encore frais. Le sont-ils, Messieurs et Mesdames ? oui? Très bien. Ce que nous essayons de faire ici c'est de penser à un problème ensemble, vous n'êtes pas en train d'écouter un gramophone. Je refuse d'être un gramophone; mais vous êtes habitués à simplement écouter, ce qui veut dire, en fait, que vous ne suivez pas du tout. Vous écoutez superficiellement, étant captés par des mots, et par conséquent, vous n'êtes pas les régénérateurs, ou créateurs, d'une nouvelle société. Vous êtes le facteur désintégrant, Messieurs, et c'est cela la calamité ; mais vous n'en voyez pas la tragédie. Le monde, y compris l'Inde, est au bord d'un précipice, il brûle et se désintègre rapidement ; et l'homme qui se contente d'écouter un chef, s'habituant à des mots et demeurant un spectateur, contribue au désastre. Donc, si je puis le suggérer, ne commencez pas à vous habituer à ce que je dis. Et ne répétez pas ; je pense à nouveau, chaque fois que je réponds à une question. Si je ne faisais que répéter, ce serait effroyablement ennuyeux pour moi. Et comme je ne veux pas m'assommer avec des répétitions, je repense à neuf — et ainsi devez-vous faire* si vous avez la curiosité et l'intensité qu'il faut pour découvrir.
Qu'est-ce qui est impliqué dans cette question de réincarnation ? C'est un problème énorme, et nous ne pouvons pas le régler en quelques minutes. En examinant cette question, regardons-la sans aucune déformation — ce qui ne veut pas dire avoir soi-disant l'esprit ouvert. Cela n'existe pas, un esprit ouvert : ce qu'il faut, c'est un esprit investigateur. Il nous faut, vous et moi, investiguer cette question. Or, lorsque nous poursuivons notre enquête, que cherchons-nous ? Nous sommes à la recherche de la vérité, non selon votre croyance ou ma croyance ; car, pour trouver la vérité en ce qui concerne n'importe quelle affaire, je ne dois pas avoir de croyance. Je veux trouver la vérité ; donc j'enquête, je mets à nu tout ce qui se rapporte à cette question, ne m'abritant derrière aucune forme de préjugé. C'est-à-dire que j'enquête honnêtement. Mon esprit
ne peut connaître que soi-même, ne peut investiguer qu'en soi-même. Je veux savoir si le " je " continue. Le " je ", qui est un processus total, un processus psychologique et physiologique à la fois, qui est avec le corps et aussi distinct du corps — je veux savoir si le " je " continue, s'il entre en existence après que cette existence physique s'est terminée. Or, qu'entendons-nous par continuité ? Nous avons examiné plus ou moins ce que nous entendons par le " je " : mon nom. mes caractéristiques, mes frustrations, mes œuvres — vous savez, toutes les variétés de pensées et de sentiments à différents niveaux de la conscience. Nous savons cela. Et alors, qu'entendons-nous par continuité ? Continuer, qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'est-ce que c'est, qui donne la continuité ? Qu'est-ce que c'est, qui dit : " je continuerai ". ou "je ne continuerai pas" ? Qu'est-ce que c'est qui s'accroche à la continuité, à la permanence, qui est sécurité ? Après tout, je cherche la sécurité ici dans des possessions, dans des choses, dans la famille, dans des croyances; et lorsque le corps meurt, la perma-nance des choses, la permanence de la famille a disparu, mais la permanence de l'idée continue. Ainsi, c'est l'idée que nous voulons voir continuer. Nous voyons que la propriété va disparaître, qu'il n'y aura pas de famille; mais nous voulons savoir si l'idée continue, si l'idée du " je ", la pensée " je suis " est continue. Je vous prie, il est important de voir la différence. Je sais que je serai incinéré, que le corps sera détruit. Je sais que je ne vous verrai pas, que je ne verrai pas ma famille ; mais est-ce que l'idée du " moi " continuera à exister ? L'idée du " moi " n'est-elle pas continue — la continuité signifiant devenir, se déplacer dans le temps, passer d'une période à une autre période, d'expérience en expérience ? C'est cela, la vraie question que l'on se pose : si le " je ", l'idée ou formulation du " moi " continuera. N'êtes-vous pas fatigués ? Très bien. Messieurs.
Donc, qu'est-ce que le " je " ? Nous avons investigué cela, et vous savez ce que c'est. Manifestement, la pensée s'identifie à une croyance, et cette croyance continue, comme une vague électrique. La pensée, identifiée à une croyance, a une continuité, a une substance ; cette pensée est nommée, reçoit une dénomination, elle reçoit une récognition en tant que " je ", et ce " je ", manifestement, a un mouvement, il continue, il devient. Or, qu'arrive-t-il à une chose qui est continuelle, qui est en constant devenir ? Ce qui continue n'a pas de renouveau ; cela ne fait que se répéter sous différentes formes, mais cela n'a pas de renouveau. La pensée, identifiée à une idée, a une continuité en tant que " je ", mais une chose qui continue est constamment en voie de décomposition, elle ne connaît ni naissance ni mort. En ce sens elle continue, mais la chose qui continue ne peut jamais se renouveler. Il n'y a de renouvellement que lorsqu'il y a une fin. Il est très important de découvrir et de comprendre cela. Supposez, par exemple, que je sois tracassé par un problème que j'essaye de résoudre, et que je ne cesse de me tracasser. Qu'arrive-t-il ? Il n'y a pas de renouveau, n'est-ce pas ? Le problème continue jour après jour, une semaine après l'autre, d'année en année. Mais lorsque le tracas a cessé, il y a un renouveau et alors le problème a un sens différent. Ce n'est qu'en une fin qu'il y a un renouveau, ce n'est qu'en la mort qu'il y a une nouvelle naissance — ce qui veut dire mourir au jour qui passe, à l'instant qui passe. Mais lorsqu'il y a simplement le désir de continuer, par conséquent l'identification à une croyance, ou à une mémoire, qui est le " je ", dans une telle continuité il n'y a pas de renouveau, c'est un fait bien évident. Un homme qui a un problème, qui est continuellement tracassé pendant des années, est mort, pour lui il n'y a pas de renouveau ; il appartient aux morts vivants, il ne fait que continuer. Mais dès l'instant que le problème prend fin, il y a un renouvellement. De même, où il y a une fin il y a une nouvelle naissance, il y a création ; mais où il y a continuité, il n'y a pas de création. Messieurs, voyez la beauté, la vérité du fait qu'en une fin il y a l'amour. L'amour est de moment en moment, il n'est pas continu, il n'est pas à répétition. C'est sa grandeur, c'est sa vérité. L'homme qui recherche la continuité la trouvera évidemment, parce qu'il s'identifie à une idée, et l'idée ou la mémoire continue ; mais dans une continuité il n'y a pas de renouveau. Ce n'est qu'en une mort, en une fin, qu'il y a un renouveau, non en une continuité. Et vous direz maintenant que je n'ai pas répondu à la question : " Y a-t-il ou non réincarnation ? " J'y ai certainement répondu. Monsieur, les problèmes de la vie ne sont pas des " oui " ou des " non " catégoriques ". La vie est si vaste. Ce n'est que la personne frivole qui cherche une réponse catégorique. Mais en analysant cette question, nous avons découvert un grand nombre de choses. Il y a de la beauté dans une fin, il n'y a de renouvellement, de création, de commencement qu'en la mort, qu'en mourant chaque minute — ce qui veut dire ne pas stocker, ne pas entasser, physiquement ou psychologiquement. Ainsi, la vie et la mort sont un, et l'homme qui sait qu'elles sont un, meurt chaque minute. Ceci veut dire ne pas nommer, ne pas permettre à l'enregistreur de faire tourner encore et encore son disque, qui est sa conscience particulière. L'immortalité n'est pas la continuation d'une idée, qui est le " je ". L'immortalité est ce qui, mourant constamment, constamment se renouvelle.
KRISHNAMURTI: SUR LA MORT (extrait de La Première et la Dernière Liberté, p. 258-260)
Quels rapports y a-t-il entre la mort et la vie ?
Y a-t-il une division entre la vie et la mort ? Pourquoi considérons-nous la mort comme un état séparé de la vie ? Pourquoi avons-nous peur de la mort ? Et pourquoi tant de livres ont-ils été écrits sur elle ? Pourquoi y a-t-il une ligne de démarcation entre la vie et la mort ? Et cette séparation est-elle réelle ou simplement arbitraire, une fabrication de l'esprit ?
Lorsque nous parlons de la vie, nous entendons un processus de continuité en lequel il y a identification. Moi et ma maison, moi et ma femme, moi et mon compte en banque, moi et mon expérience. C'est ce que nous appelons la vie, n'est-ce pas ? Vivre est un processus de continuité dans la mémoire, conscient mais aussi inconscient, avec ses luttes, querelles, incidents, expériences, etc. Tout cela est ce que nous appelons la vie et nous pensons à la mort comme à son opposé. Ayant créé cet opposé, nous le redoutons et commençons à rechercher la relation entre la vie et la mort Si nous parvenons à jeter entre l'une et l'autre le pont de nos explications, la croyance en une continuité, en un au-delà, nous sommes satisfaits. Nous croyons à la réincarnation ou à une autre forme de la continuité de la pensée, et ensuite nous essayons d'établir le rapport entre le connu et l'inconnu, entre te passé et le futur. C'est bien cela que nous faisons, n'est-ce pas, lorsque nous posons des questions sur tes relations entre la vie et la mort Nous voulons savoir comment jeter un pont entre le " vivre " et le " finir ". C'est là notre désir fondamental.
Pouvons-nous connaître la " fin ", qui est la mort, pendant que nous vivons ? Je veux dire que si nous pouvions savoir, pendant que nous vivons, ce qu'est la mort, nous n'aurions pas de problèmes. C'est parce que nous ne pouvons pas entrer en contact avec l'inconnu pendant que nous vivons, que nous en avons peur. Notre lutte consiste à établir un rapport entre nous-mêmes qui sommes le résultat du connu, et l'inconnu que nous appelons mort. Peut-il y avoir une relation entre le passé et quelque chose que l'esprit ne peut pas concevoir et que nous appelons mort ? Pourquoi séparons-nous les deux ? N'est-ce point parce que notre esprit ne fonctionne que dans le champ du connu, dans le champ du continu ? L'on ne se connaît soi-même qu'en tant que penseur, qu'en tant qu'acteur ayant certains souvenirs de misères, de plaisirs, d'amour, d'affections, d'expériences de toutes sortes ; l'on ne se connaît qu'en tant qu'être continu, sans quoi Ton n'aurait aucun souvenir de soi-même "étant" quoi que ce soit. Or, lorsque ce " quoi que ce soit " considère sa fin - que nous appelons mort - surgit en nous la peur de l'inconnu, donc le désir d'englober l'inconnu dans le connu, de donner une continuité au connu. Je veux dire que nous ne voulons pas connaître une vie incluant la mort, mais nous voulons nous persuader qu'un moyen existe de durer indéfiniment. Nous ne voulons pas connaître la vie et la mort, mais nous voulons apprendre à durer sans fin.
Ce qui continue n'a pas de renouveau. Il ne peut rien avoir de neuf, rien de créatif en ce qui continue. Cela semble bien évident. Au contraire, sitôt que s'arrête la continuité, ce qui est toujours neuf devient possible. C'est notre fin que nous redoutons. Nous ne voyons pas que le renouveau créateur et inconnu ne peut se produire qu'en cette fin du " quoi que ce soit " que nous croyons être. Le report quotidien de nos expériences, de nos souvenirs et de nos infortunes, bref tout ce qui vieillit en s'accumulant, doit mourir chaque jour pour que le renouveau puisse être. C'est chaque jour que nous devons mourir. Le neuf ne peut pas être là où est une continuité - le neuf étant le créatif, l'inconnu, l'éternel, Dieu si vous voulez. La personne, l'entité continue qui est à la recherche de l'inconnu, du réel, de l'éternel, ne le trouvera jamais, parce qu'elle ne trouvera que ce qu'elle projette hors d'elle-même, et ce qu'elle projette n'est pas le réel. Ce n'est que lorsque nous finissons, lorsque nous mourons que le réel peut être connu ; et celui qui cherche une relation entre la vie et la mort, un pont entre le continu et ce qu'il s'imagine exister au-delà, vit dans un monde fictif, irréel, qui est une projection de lui-même.
Et est-il possible, pendant que l'on vit, de mourir, c'est-à-dire de parvenir à sa fin, de n'être rien du tout ? Est-il possible, en vivant dans ce monde où tout " devient " de plus en plus (ou " devient " de moins en moins) où tout est un processus d'escalades, de réussites, de succès, est-il possible, dans un tel inonde, de connaître la mort ? Est-il possible d'achever chaque souvenir ? (Il ne s'agit pas des souvenirs des faits : de l'adresse de votre domicile, etc.) Est-il possible de mettre fin à chaque attachement intérieur, à une sécurité psychologique, à tous les souvenirs que nous avons accumulés, emmagasinés, et où nous puisons notre sécurité et notre bonheur ? Est-il possible de mettre fin à tout cela, ce qui veut dire mourir chaque jour pour qu'un renouveau puisse avoir lieu demain ? Ce n'est qu'alors que l'on connaît la mort pendant que l'on vit Ce n'est qu'en cette mort, en cette fin, en cet arrêt de la continuité, qu'est le renouveau, la création de ce qui est éternel.
Krishnamurti: Dieu existe-t-il ?
Pouvons-nous vous prier de déclarer clairement si Dieu existe ou non ?
Monsieur, pourquoi voulez-vous le savoir ? Quelle différence cela vous ferait-il que je le déclare clairement ou non ? Je vous confirmerais dans votre croyance, ou je vous ébranlerais dans votre croyance. Si je confirmais votre croyance,, vous seriez content, et vous continueriez à vivre selon vos habitudes, aimables et hideuses. Si je vous troublais, vous diriez : " Oh ! cela n'est pas important ", et malheureusement vous continueriez aussi à être tel que vous êtes. Mais pour quelle raison voulez-vous savoir ? Voilà qui est plus important que de découvrir si Dieu existe ou non. Pour connaître Dieu, Monsieur, pour connaître le réel, il ne faut pas le chercher. Si vous le cherchez, c'est que vous fuyez ce qui est; et c'est pour cela que vous demandez si Dieu existe ou non. Vous voulez échapper à votre souffrance, fuir dans une illusion. Vos livres sont pleins de divinités, chaque temple est plein d'images faites par la main; mais il n'y a pas de Dieu, parce que ce ne sont là que des évasions hors de votre souffrance. Pour trouver la réalité, ou, plutôt, pour que la réalité entre en existence, la souffrance doit cesser ; et simplement chercher Dieu, la vérité, l'immortalité, c'est fuir la souffrance. Mais il est plus agréable de discuter si Dieu existe ou non que de dissoudre les causes de la souffrance, et c'est pour cela que vous avez des livres innombrables traitant de la nature de Dieu. L'homme qui discute sur la nature de Dieu ne connaît pas Dieu, parce que cette réalité ne peut pas être mesurée, elle ne peut pas être captée dans des guirlandes de mots. Vous ne pouvez pas saisir le vent dans votre poing; vous ne pouvez pas capturer la réalité dans un temple, ni en faisant puja, ni au cours d'innombrables cérémonies. Ce ne sont là que des évasions, comme boire de l'alcool. Vous buvez, vous vous enivrez parce que vous voulez vous évader ; de même, vous allez dans un temple, vous faites puja, vous suivez des rituels —ou ce que c'est que vous suivez — et c'est afin de vous évader de ce qui est. Ce qui est, est la souffrance, cette perpétuelle bataille contre soi-même, donc contre un autre; et tant que vous ne comprenez pas et ne transcendez pas cette souffrance, la réalité ne peut pas entrer en vie. Donc votre interrogation au sujet de l'existence ou de la non-existence de Dieu est vaine, n'a aucun sens, ne peut mener qu'à une illusion. Comment un esprit qui est prisonnier de l'agitation quotidienne, de l'affliction et de la souffrance, qui est ignorant et limité peut-il connaître ce qui est sans limites, indicible ? Comment ce qui est le produit du temps peut-il connaître l'intemporel ? Il ne le peut pas. Il ne peut même pas y penser. Penser à la vérité, penser à Dieu est encore une forme d'évasion; car Dieu, la vérité, ne peut pas être saisi par la pensée. La pensée est le résultat du temps, d'hier, du passé ; et étant le résultat du temps, du passé, étant un produit de la mémoire, comment la pensée peut-elle trouver ce qui est éternel, intemporel, immesurable ? Comme elle ne le peut as, tout ce que vous pouvez faire c'est libérer l'esprit du processus de pensée ; et pour libérer l’esprit du processus de pensée, vous devriez comprendre la souffrance et ne pas la fuir — la souffrance non seulement sur le plan physique, mais sur tous les plans de la conscience. Cela veut dire être ouvert, vulnérable à la souffrance, ne pas se défendre contre la souffrance, mais vivre avec elle, l'embrasser, la regarder. Car vous souffrez maintenant. Vous souffrez du matin au soir, avec un rayon de soleil occasionnel, avec une éclaircie occasionnelle dans le ciel nuageux. Or, puisque vous souffrez, pourquoi ne pas considérer cela, pourquoi ne pas y entrer pleinement, profondément, complètement et le résoudre ? Cela n'est pas difficile. La recherche de Dieu est beaucoup plus difficile, parce que c'est l'inconnu, et vous ne pouvez pas aller à la recherche de l'inconnu. Mais vous pouvez rechercher la cause de la souffrance et la déraciner en la comprenant, en en étant conscient, non en la fuyant. Puisque vous avez fui la souffrance au moyen de différentes évasions, examinez toutes ces évasions, mettez-les de côté, et arrivez face à face devant la souffrance. En comprenant cette souffrance, il y a un affranchissement.
KRISHNAMURTI: POURQUOI DES GUIDES SPIRITUELS ? (Extrait de La Première et la dernière liberté, p.166-170)
Vous dites qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un gourou, mais comment puis-je trouver la vérité sans l'aide et l'assistance que seul un sage, un gourou, peut me donner ?
La question est de savoir si un gourou est nécessaire ou non. La vérité peut-elle être découverte par l'entremise de quelqu'un ? Les uns l'affirment, d'autres le nient. Nous voulons savoir où est la vérité. Il ne s'agit donc pas d'émettre des " opinions " contradictoires : je n'ai pas d'" opinions " à ce sujet. Il est nécessaire, ou il n'est pas nécessaire d'avoir un gourou ; l'une de ces deux assertions doit être vraie, et nous voulons savoir laquelle l'est, en fait, en réalité. Cela n'est pas une affaire d'opinion, quelque profonde, érudite, populaire, universelle qu'elle puisse être.
Tout d'abord, pourquoi voulons-nous un gourou ? Étant dans un état de confusion, nous disons que le gourou est une aide, qu'il nous indiquera la vérité, qu'il nous aidera à comprendre, qu'il connaît la vie beaucoup mieux que nous ; qu'il nous instruira à la façon d'un père, qu'il a une vaste expérience tandis que la nôtre est limitée, etc., etc. Le fait fondamental est notre état de confusion. Si tout était clair pour vous, vous ne vous approcheriez même pas d'un gourou. Si vous étiez profondément heureux, si vous n'aviez pas de problèmes, si vous compreniez la vie complètement, vous n'iriez consulter personne. J'espère que vous voyez ce que tout cela signifie. Parce que vous êtes dans la confusion, vous allez demander à un guide spirituel de vous indiquer une façon de vivre, d'éclairer votre jugement, de vous aider à trouver la vérité. Parce que vous êtes dans la confusion, vous choisissez votre gourou en espérant qu'il vous donnera ce que vous demandez. En fait, vous choisissez le gourou qui vous donnera la réponse que vous souhaitez, vous le choisissez selon la satisfaction qu'il vous apporte ; votre choix dépend de votre satisfaction. Vous n'allez pas chez celui qui vous dit : " ne comptez que sur vous-même ". Vous choisissez selon vos préjugés. Donc, puisque votre choix est déterminé par votre satisfaction, ce n'est pas la vérité que vous cherchez, mais une issue à la confusion ; et l'issue à la confusion est, par erreur, appelée vérité.
Examinons d'abord l'idée qu'un gourou peut éclaircir notre confusion. Celle-ci étant le résultat de nos réactions, qui donc pourrait l'éclaircir pour nous ? Car c'est nous qui l'avons créée. Pensez-vous que ce soient " tes autres " qui créent cette misère, cette bataille à tous les échelons de l'existence, en nous et hors de nous ? Cette confusion est le résultat de notre manque de connaissance de nous-mêmes : c'est parce que nous ne connaissons pas nos conflits, nos réactions, nos misères, que nous allons chez un gourou pour qu'il nous aide à en sortir. Mais nous ne pouvons nous comprendre que dans nos rapports avec le présent ; ces rapports mêmes sont le gourou et non pas quelqu'un en dehors de nous. Si je ne comprends pas mon monde de relations, tout ce que me dira un gourou sera inutile ; si je ne comprends pas mes relations avec les possessions, avec tes hommes, avec les idées, qui donc pourra résoudre ce conflit en moi ? Pour le résoudre, c'est moi qui dois le comprendre, ce qui veut dire que je dois être parfaitement conscient de ce qui se passe en moi, au cours de mes relations. Pour me percevoir tel que je suis, aucun gourou n'est nécessaire ; et si je ne me connais pas, de quelle utilité est le gourou ? De même qu'un chef politique est choisi par ceux qui sont dans la confusion, et dont le choix, par conséquent, est à l'image de cette confusion, ainsi je choisis un gourou. Je ne peux le choisir que selon ma
confusion : donc, tout comme le chef politique, lui aussi est dans la confusion.
L'important n'est pas de se demander si c'est moi qui ai raison ou celui qui dit qu'un gourou est nécessaire. L'important est de savoir " pourquoi " vous avez besoin d'un gourou. Les gourous existent pour exploiter les gens de différentes façons ; mais là n'est pas la question. Cela vous est très agréable d'avoir un guide spirituel pour vous dire que vous avancez dans la voie de la vérité ; mais la question n'est pas là non plus. "Pourquoi" avez-vous besoin d'un gourou ? Là est la clé.
Il peut arriver que quelqu'un vous indique le chemin, mais c'est à vous de faire tout le travail, même si vous avez un gourou. Ne voulant pas affronter ce fait, vous rejetez la responsabilité sur le gourou. Or, celui-ci devient inutile dès qu'il y a la moindre parcelle de connaissance de soi. Cette connaissance, aucun guide spirituel, aucune écriture sacrée, ne peuvent vous la donner. Elle vient lorsque vous êtes exactement conscient de ce qui se passe en vous, au cours de vos relations. Ne pas comprendre celles-ci - et en particulier vos rapports avec les possessions - est une source de souffrances, de confusion, et de conflits de plus en plus graves dans la société. Si vous ne comprenez pas l'état de vos relations avec votre femme, votre enfant, qui donc peut résoudre les conflits qui naissent de cette ignorance ? Et il en est de même de vos rapports avec le monde des idées, des croyances, etc. Étant partout dans Ja confusion, vous allez en quête d'un gourou. Si c'est un vrai gourou il vous dira de vous comprendre vous-mêmes. C'est " vous " la source de tous les malentendus, et vous ne pourrez résoudre ces conflits qu'en vous comprenant dans vos relations. Car " être " c'est être en relation.
Vous ne pouvez donc pas trouver la vérité ailleurs qu'en vous-mêmes. Comment cela serait-il possible ? La vérité n'est pas quelque chose de statique; elle n'a pas de demeure ; elle n'a ni fin ni but. Au contraire, elle est mouvante, dynamique, vivante. Comment pourrait-elle être une fin ? Si la vérité était un point fixe, ce ne serait pas la vérité, ce ne serait qu'une opinion. La vérité est l'inconnu et l'esprit qui la cherche ne la trouvera jamais, car tous les éléments qui le composent appartiennent au connu. L'esprit est le résultat du passé, le produit du temps. Vous pouvez l'observer vous-mêmes : l'esprit est l'instrument du connu, il ne peut donc pas découvrir l'inconnu ; il ne peut qu'aller du connu au connu. Lorsqu'il cherche la vérité, celle dont lui parlent des livres, cette vérité-là n'est qu'une projection de lui-même, car il ne fait que poursuivre un " connu ", un connu plus satisfaisant que le précédent. Lorsque l'esprit " cherche " la vérité, c'est une projection de lui-même qu'il cherche, et non la vérité. Un idéal n'est en somme qu'une projection, une fiction, une irréalité. Le réel est ce qui " est ", et non pas son opposé. Le Dieu auquel vous pensez n'est que la projection de votre pensée, le résultat d'influences sociales. Vous ne pouvez pas " penser " à l'inconnu, " méditer " sur la vérité. Dès que vous " pensez " à l'inconnu, vous avez affaire à une projection du connu. Vous ne pouvez pas "penser" à Dieu, à la Vérité. Sitôt que vous pensez, ce n'est pas la vérité. La vérité ne peut pas être recherchée : elle vient à vous. Vous ne pouvez poursuivre que le connu. Lorsque l'esprit n'est plus torturé par le connu, par les effets du connu, alors seulement la vérité se révèle. Elle est en chaque feuille, en chaque larme ; elle ne peut être connue que d'instant en instant. Personne ne peut vous conduire à elle ; si quelqu'un vous conduit, cela ne peut être que vers le connu.
La vérité ne peut se présenter qu'à l'esprit qui s'est vidé du connu. Elle vient lorsqu'on est dans un état d'où le connu est absent. L'esprit est l'entrepôt du connu, le résidu du connu ; et pour qu'il soit dans l'état où l'inconnu entre en existence, il doit être lucide en ce qui le concerne, en ce qui concerne ses expériences conscientes et inconscientes, ses réponses, ses réactions et sa structure. La totale connaissance de soi est la fin du connu et l'esprit est alors complètement vide de connu. Ce n'est qu'alors que la vérité peut venir à vous, non conviée. La vérité n'appartient ni à moi ni à vous. Vous ne pouvez pas lui rendre un culte. Aussitôt qu'elle est connue, elle est irréelle. Le symbole n'est pas réel, l'image n'est pas réelle, mais lorsqu'il y a compréhension de soi, lorsqu'il y a cessation de soi, l'éternité peut entrer en existence.
Krishnamurti: Mieux comprendre la mort (vendredi 30 mars 1984, Dernier journal, p.160-162, Editions du Seuil, 1997)
(...) Les enfants sont doués d'une extraordinaire curiosité. Si vous comprenez la nature de la mort, vous n'aurez pas à indiquer que tout meurt, que la poussière retourne à la poussière, mais, sans aucune peur, vous leur expliquerez doucement la mort. Vous leur ferez sentir que vivre et mourir ne font qu'un, ne sont qu'un seul mouvement qui ne commence pas à la fin de la vie après cinquante, soixante ou quatre-vingt-dix ans, mais que la mort est comme cette feuille. Voyez les hommes et les femmes âgés, comme ils sont décrépits, perdus, malheureux, comme ils sont laids. Serait-ce qu'ils n'ont pas compris ce que signifie vivre ou mourir ? Ils ont utilisé la vie, s'en sont servis, l'ont gaspillée dans le conflit sans fin qui ne fait qu'exercer et fortifier la personne, le moi, l'ego. Nous passons nos jours en conflits et malheurs de toutes sortes, parsemés d'un peu de joie et de plaisir, mangeant, buvant, fumant, dans les veilles et le travail incessant. Et, à la fin de notre vie, nous nous trouvons face à cette chose qu'on appelle la mort et dont on a peur. Et l'on pense qu'elle pourra toujours être comprise et ressentie en profondeur. L'enfant, avec sa curiosité, peut être amené à comprendre que la mort n'est pas seulement l'usure du corps par l'âge, la maladie, ou quelque accident inattendu, mais que la fin de chaque jour est aussi la fin de soi-même.
Il n'y a pas de résurrection, c'est là une superstition, une croyance dogmatique. Tout ce qui existe sur terre, sur cette merveilleuse terre, vit, meurt, prend forme, puis se fane et disparaît. Il faut de l'intelligence pour saisir tout ce mouvement de la vie, et ce n'est pas l'intelligence de la pensée, des livres ou du savoir, mais l'intelligence de l'amour, de la compassion avec sa sensibilité. Nous sommes tout à fait certains que si l'éducateur comprend la signification de la mort et sa dignité, l'extraordinaire simplicité de mourir — s'il la comprend, non pas intellectuellement mais en profondeur — il parviendra alors à faire saisir à l'étudiant ou à l'enfant que mourir, finir, n'a pas à être évité car cela fait partie de notre vie entière. Ainsi, quand l'étudiant ou l'enfant grandira, il n'aura jamais peur de sa fin. Si tous les humains qui nous ont précédés, de génération en génération, vivaient encore sur cette terre, ce serait terrible. Le commencement n'est pas la fin.
Et nous voudrions aider — non, ce n'est pas le mot juste — nous aimerions, dans l'éducation, donner à la mort une certaine réalité factuelle, non pas la mort d'un autre, mais la nôtre. Jeunes ou vieux, nous devrons inévitablement lui faire face. Ce n'est pas une chose triste, faite de larmes, de solitude, de séparation. Nous tuons si facilement, non seulement les animaux destinés à notre alimentation, mais encore ceux que nous massacrons inutilement, par divertissement — on appelle cela un sport. Tuer un cerf, parce que c'est la saison, équivaut à tuer son voisin. On tue les animaux parce que l'on a perdu contact avec la nature, avec les créatures qui vivent sur cette terre. On tue à la guerre au nom de tant d'idéologies romantiques, nationalistes ou politiques. Nous avons tué des hommes au nom de Dieu. La violence et la tuerie vont de pair
Et devant cette feuille morte dans toute sa beauté, sa couleur, peut-être pourrions-nous être conscients au plus profond de nous-mêmes, saisir ce que doit être notre propre mort, non pas à la fin ultime, mais au tout début de notre vie. La mort n'est pas une chose horrible, une chose à éviter, à différer, mais plutôt une compagne de chaque jour. De cette perception naît un immense sens de l'immensité.
http://stehly.chez-alice.fr/krishnamurti2.htm
http://stehly.chez-alice.fr/krishnamurti3.htm
http://stehly.chez-alice.fr/krishnamurti1.htm
http://stehly.chez-alice.fr/krishnamurti4.htm
http://stehly.chez-alice.fr/krishnamurti5.htm
Qu'y a-t~il de vrai et qu'y a-t-il de faux dans les théories de la réincarnation ?
J'espère qu'après avoir écouté deux heures et dix minutes, vos esprits sont encore frais. Le sont-ils, Messieurs et Mesdames ? oui? Très bien. Ce que nous essayons de faire ici c'est de penser à un problème ensemble, vous n'êtes pas en train d'écouter un gramophone. Je refuse d'être un gramophone; mais vous êtes habitués à simplement écouter, ce qui veut dire, en fait, que vous ne suivez pas du tout. Vous écoutez superficiellement, étant captés par des mots, et par conséquent, vous n'êtes pas les régénérateurs, ou créateurs, d'une nouvelle société. Vous êtes le facteur désintégrant, Messieurs, et c'est cela la calamité ; mais vous n'en voyez pas la tragédie. Le monde, y compris l'Inde, est au bord d'un précipice, il brûle et se désintègre rapidement ; et l'homme qui se contente d'écouter un chef, s'habituant à des mots et demeurant un spectateur, contribue au désastre. Donc, si je puis le suggérer, ne commencez pas à vous habituer à ce que je dis. Et ne répétez pas ; je pense à nouveau, chaque fois que je réponds à une question. Si je ne faisais que répéter, ce serait effroyablement ennuyeux pour moi. Et comme je ne veux pas m'assommer avec des répétitions, je repense à neuf — et ainsi devez-vous faire* si vous avez la curiosité et l'intensité qu'il faut pour découvrir.
Qu'est-ce qui est impliqué dans cette question de réincarnation ? C'est un problème énorme, et nous ne pouvons pas le régler en quelques minutes. En examinant cette question, regardons-la sans aucune déformation — ce qui ne veut pas dire avoir soi-disant l'esprit ouvert. Cela n'existe pas, un esprit ouvert : ce qu'il faut, c'est un esprit investigateur. Il nous faut, vous et moi, investiguer cette question. Or, lorsque nous poursuivons notre enquête, que cherchons-nous ? Nous sommes à la recherche de la vérité, non selon votre croyance ou ma croyance ; car, pour trouver la vérité en ce qui concerne n'importe quelle affaire, je ne dois pas avoir de croyance. Je veux trouver la vérité ; donc j'enquête, je mets à nu tout ce qui se rapporte à cette question, ne m'abritant derrière aucune forme de préjugé. C'est-à-dire que j'enquête honnêtement. Mon esprit
ne peut connaître que soi-même, ne peut investiguer qu'en soi-même. Je veux savoir si le " je " continue. Le " je ", qui est un processus total, un processus psychologique et physiologique à la fois, qui est avec le corps et aussi distinct du corps — je veux savoir si le " je " continue, s'il entre en existence après que cette existence physique s'est terminée. Or, qu'entendons-nous par continuité ? Nous avons examiné plus ou moins ce que nous entendons par le " je " : mon nom. mes caractéristiques, mes frustrations, mes œuvres — vous savez, toutes les variétés de pensées et de sentiments à différents niveaux de la conscience. Nous savons cela. Et alors, qu'entendons-nous par continuité ? Continuer, qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'est-ce que c'est, qui donne la continuité ? Qu'est-ce que c'est, qui dit : " je continuerai ". ou "je ne continuerai pas" ? Qu'est-ce que c'est qui s'accroche à la continuité, à la permanence, qui est sécurité ? Après tout, je cherche la sécurité ici dans des possessions, dans des choses, dans la famille, dans des croyances; et lorsque le corps meurt, la perma-nance des choses, la permanence de la famille a disparu, mais la permanence de l'idée continue. Ainsi, c'est l'idée que nous voulons voir continuer. Nous voyons que la propriété va disparaître, qu'il n'y aura pas de famille; mais nous voulons savoir si l'idée continue, si l'idée du " je ", la pensée " je suis " est continue. Je vous prie, il est important de voir la différence. Je sais que je serai incinéré, que le corps sera détruit. Je sais que je ne vous verrai pas, que je ne verrai pas ma famille ; mais est-ce que l'idée du " moi " continuera à exister ? L'idée du " moi " n'est-elle pas continue — la continuité signifiant devenir, se déplacer dans le temps, passer d'une période à une autre période, d'expérience en expérience ? C'est cela, la vraie question que l'on se pose : si le " je ", l'idée ou formulation du " moi " continuera. N'êtes-vous pas fatigués ? Très bien. Messieurs.
Donc, qu'est-ce que le " je " ? Nous avons investigué cela, et vous savez ce que c'est. Manifestement, la pensée s'identifie à une croyance, et cette croyance continue, comme une vague électrique. La pensée, identifiée à une croyance, a une continuité, a une substance ; cette pensée est nommée, reçoit une dénomination, elle reçoit une récognition en tant que " je ", et ce " je ", manifestement, a un mouvement, il continue, il devient. Or, qu'arrive-t-il à une chose qui est continuelle, qui est en constant devenir ? Ce qui continue n'a pas de renouveau ; cela ne fait que se répéter sous différentes formes, mais cela n'a pas de renouveau. La pensée, identifiée à une idée, a une continuité en tant que " je ", mais une chose qui continue est constamment en voie de décomposition, elle ne connaît ni naissance ni mort. En ce sens elle continue, mais la chose qui continue ne peut jamais se renouveler. Il n'y a de renouvellement que lorsqu'il y a une fin. Il est très important de découvrir et de comprendre cela. Supposez, par exemple, que je sois tracassé par un problème que j'essaye de résoudre, et que je ne cesse de me tracasser. Qu'arrive-t-il ? Il n'y a pas de renouveau, n'est-ce pas ? Le problème continue jour après jour, une semaine après l'autre, d'année en année. Mais lorsque le tracas a cessé, il y a un renouveau et alors le problème a un sens différent. Ce n'est qu'en une fin qu'il y a un renouveau, ce n'est qu'en la mort qu'il y a une nouvelle naissance — ce qui veut dire mourir au jour qui passe, à l'instant qui passe. Mais lorsqu'il y a simplement le désir de continuer, par conséquent l'identification à une croyance, ou à une mémoire, qui est le " je ", dans une telle continuité il n'y a pas de renouveau, c'est un fait bien évident. Un homme qui a un problème, qui est continuellement tracassé pendant des années, est mort, pour lui il n'y a pas de renouveau ; il appartient aux morts vivants, il ne fait que continuer. Mais dès l'instant que le problème prend fin, il y a un renouvellement. De même, où il y a une fin il y a une nouvelle naissance, il y a création ; mais où il y a continuité, il n'y a pas de création. Messieurs, voyez la beauté, la vérité du fait qu'en une fin il y a l'amour. L'amour est de moment en moment, il n'est pas continu, il n'est pas à répétition. C'est sa grandeur, c'est sa vérité. L'homme qui recherche la continuité la trouvera évidemment, parce qu'il s'identifie à une idée, et l'idée ou la mémoire continue ; mais dans une continuité il n'y a pas de renouveau. Ce n'est qu'en une mort, en une fin, qu'il y a un renouveau, non en une continuité. Et vous direz maintenant que je n'ai pas répondu à la question : " Y a-t-il ou non réincarnation ? " J'y ai certainement répondu. Monsieur, les problèmes de la vie ne sont pas des " oui " ou des " non " catégoriques ". La vie est si vaste. Ce n'est que la personne frivole qui cherche une réponse catégorique. Mais en analysant cette question, nous avons découvert un grand nombre de choses. Il y a de la beauté dans une fin, il n'y a de renouvellement, de création, de commencement qu'en la mort, qu'en mourant chaque minute — ce qui veut dire ne pas stocker, ne pas entasser, physiquement ou psychologiquement. Ainsi, la vie et la mort sont un, et l'homme qui sait qu'elles sont un, meurt chaque minute. Ceci veut dire ne pas nommer, ne pas permettre à l'enregistreur de faire tourner encore et encore son disque, qui est sa conscience particulière. L'immortalité n'est pas la continuation d'une idée, qui est le " je ". L'immortalité est ce qui, mourant constamment, constamment se renouvelle.
KRISHNAMURTI: SUR LA MORT (extrait de La Première et la Dernière Liberté, p. 258-260)
Quels rapports y a-t-il entre la mort et la vie ?
Y a-t-il une division entre la vie et la mort ? Pourquoi considérons-nous la mort comme un état séparé de la vie ? Pourquoi avons-nous peur de la mort ? Et pourquoi tant de livres ont-ils été écrits sur elle ? Pourquoi y a-t-il une ligne de démarcation entre la vie et la mort ? Et cette séparation est-elle réelle ou simplement arbitraire, une fabrication de l'esprit ?
Lorsque nous parlons de la vie, nous entendons un processus de continuité en lequel il y a identification. Moi et ma maison, moi et ma femme, moi et mon compte en banque, moi et mon expérience. C'est ce que nous appelons la vie, n'est-ce pas ? Vivre est un processus de continuité dans la mémoire, conscient mais aussi inconscient, avec ses luttes, querelles, incidents, expériences, etc. Tout cela est ce que nous appelons la vie et nous pensons à la mort comme à son opposé. Ayant créé cet opposé, nous le redoutons et commençons à rechercher la relation entre la vie et la mort Si nous parvenons à jeter entre l'une et l'autre le pont de nos explications, la croyance en une continuité, en un au-delà, nous sommes satisfaits. Nous croyons à la réincarnation ou à une autre forme de la continuité de la pensée, et ensuite nous essayons d'établir le rapport entre le connu et l'inconnu, entre te passé et le futur. C'est bien cela que nous faisons, n'est-ce pas, lorsque nous posons des questions sur tes relations entre la vie et la mort Nous voulons savoir comment jeter un pont entre le " vivre " et le " finir ". C'est là notre désir fondamental.
Pouvons-nous connaître la " fin ", qui est la mort, pendant que nous vivons ? Je veux dire que si nous pouvions savoir, pendant que nous vivons, ce qu'est la mort, nous n'aurions pas de problèmes. C'est parce que nous ne pouvons pas entrer en contact avec l'inconnu pendant que nous vivons, que nous en avons peur. Notre lutte consiste à établir un rapport entre nous-mêmes qui sommes le résultat du connu, et l'inconnu que nous appelons mort. Peut-il y avoir une relation entre le passé et quelque chose que l'esprit ne peut pas concevoir et que nous appelons mort ? Pourquoi séparons-nous les deux ? N'est-ce point parce que notre esprit ne fonctionne que dans le champ du connu, dans le champ du continu ? L'on ne se connaît soi-même qu'en tant que penseur, qu'en tant qu'acteur ayant certains souvenirs de misères, de plaisirs, d'amour, d'affections, d'expériences de toutes sortes ; l'on ne se connaît qu'en tant qu'être continu, sans quoi Ton n'aurait aucun souvenir de soi-même "étant" quoi que ce soit. Or, lorsque ce " quoi que ce soit " considère sa fin - que nous appelons mort - surgit en nous la peur de l'inconnu, donc le désir d'englober l'inconnu dans le connu, de donner une continuité au connu. Je veux dire que nous ne voulons pas connaître une vie incluant la mort, mais nous voulons nous persuader qu'un moyen existe de durer indéfiniment. Nous ne voulons pas connaître la vie et la mort, mais nous voulons apprendre à durer sans fin.
Ce qui continue n'a pas de renouveau. Il ne peut rien avoir de neuf, rien de créatif en ce qui continue. Cela semble bien évident. Au contraire, sitôt que s'arrête la continuité, ce qui est toujours neuf devient possible. C'est notre fin que nous redoutons. Nous ne voyons pas que le renouveau créateur et inconnu ne peut se produire qu'en cette fin du " quoi que ce soit " que nous croyons être. Le report quotidien de nos expériences, de nos souvenirs et de nos infortunes, bref tout ce qui vieillit en s'accumulant, doit mourir chaque jour pour que le renouveau puisse être. C'est chaque jour que nous devons mourir. Le neuf ne peut pas être là où est une continuité - le neuf étant le créatif, l'inconnu, l'éternel, Dieu si vous voulez. La personne, l'entité continue qui est à la recherche de l'inconnu, du réel, de l'éternel, ne le trouvera jamais, parce qu'elle ne trouvera que ce qu'elle projette hors d'elle-même, et ce qu'elle projette n'est pas le réel. Ce n'est que lorsque nous finissons, lorsque nous mourons que le réel peut être connu ; et celui qui cherche une relation entre la vie et la mort, un pont entre le continu et ce qu'il s'imagine exister au-delà, vit dans un monde fictif, irréel, qui est une projection de lui-même.
Et est-il possible, pendant que l'on vit, de mourir, c'est-à-dire de parvenir à sa fin, de n'être rien du tout ? Est-il possible, en vivant dans ce monde où tout " devient " de plus en plus (ou " devient " de moins en moins) où tout est un processus d'escalades, de réussites, de succès, est-il possible, dans un tel inonde, de connaître la mort ? Est-il possible d'achever chaque souvenir ? (Il ne s'agit pas des souvenirs des faits : de l'adresse de votre domicile, etc.) Est-il possible de mettre fin à chaque attachement intérieur, à une sécurité psychologique, à tous les souvenirs que nous avons accumulés, emmagasinés, et où nous puisons notre sécurité et notre bonheur ? Est-il possible de mettre fin à tout cela, ce qui veut dire mourir chaque jour pour qu'un renouveau puisse avoir lieu demain ? Ce n'est qu'alors que l'on connaît la mort pendant que l'on vit Ce n'est qu'en cette mort, en cette fin, en cet arrêt de la continuité, qu'est le renouveau, la création de ce qui est éternel.
Krishnamurti: Dieu existe-t-il ?
Pouvons-nous vous prier de déclarer clairement si Dieu existe ou non ?
Monsieur, pourquoi voulez-vous le savoir ? Quelle différence cela vous ferait-il que je le déclare clairement ou non ? Je vous confirmerais dans votre croyance, ou je vous ébranlerais dans votre croyance. Si je confirmais votre croyance,, vous seriez content, et vous continueriez à vivre selon vos habitudes, aimables et hideuses. Si je vous troublais, vous diriez : " Oh ! cela n'est pas important ", et malheureusement vous continueriez aussi à être tel que vous êtes. Mais pour quelle raison voulez-vous savoir ? Voilà qui est plus important que de découvrir si Dieu existe ou non. Pour connaître Dieu, Monsieur, pour connaître le réel, il ne faut pas le chercher. Si vous le cherchez, c'est que vous fuyez ce qui est; et c'est pour cela que vous demandez si Dieu existe ou non. Vous voulez échapper à votre souffrance, fuir dans une illusion. Vos livres sont pleins de divinités, chaque temple est plein d'images faites par la main; mais il n'y a pas de Dieu, parce que ce ne sont là que des évasions hors de votre souffrance. Pour trouver la réalité, ou, plutôt, pour que la réalité entre en existence, la souffrance doit cesser ; et simplement chercher Dieu, la vérité, l'immortalité, c'est fuir la souffrance. Mais il est plus agréable de discuter si Dieu existe ou non que de dissoudre les causes de la souffrance, et c'est pour cela que vous avez des livres innombrables traitant de la nature de Dieu. L'homme qui discute sur la nature de Dieu ne connaît pas Dieu, parce que cette réalité ne peut pas être mesurée, elle ne peut pas être captée dans des guirlandes de mots. Vous ne pouvez pas saisir le vent dans votre poing; vous ne pouvez pas capturer la réalité dans un temple, ni en faisant puja, ni au cours d'innombrables cérémonies. Ce ne sont là que des évasions, comme boire de l'alcool. Vous buvez, vous vous enivrez parce que vous voulez vous évader ; de même, vous allez dans un temple, vous faites puja, vous suivez des rituels —ou ce que c'est que vous suivez — et c'est afin de vous évader de ce qui est. Ce qui est, est la souffrance, cette perpétuelle bataille contre soi-même, donc contre un autre; et tant que vous ne comprenez pas et ne transcendez pas cette souffrance, la réalité ne peut pas entrer en vie. Donc votre interrogation au sujet de l'existence ou de la non-existence de Dieu est vaine, n'a aucun sens, ne peut mener qu'à une illusion. Comment un esprit qui est prisonnier de l'agitation quotidienne, de l'affliction et de la souffrance, qui est ignorant et limité peut-il connaître ce qui est sans limites, indicible ? Comment ce qui est le produit du temps peut-il connaître l'intemporel ? Il ne le peut pas. Il ne peut même pas y penser. Penser à la vérité, penser à Dieu est encore une forme d'évasion; car Dieu, la vérité, ne peut pas être saisi par la pensée. La pensée est le résultat du temps, d'hier, du passé ; et étant le résultat du temps, du passé, étant un produit de la mémoire, comment la pensée peut-elle trouver ce qui est éternel, intemporel, immesurable ? Comme elle ne le peut as, tout ce que vous pouvez faire c'est libérer l'esprit du processus de pensée ; et pour libérer l’esprit du processus de pensée, vous devriez comprendre la souffrance et ne pas la fuir — la souffrance non seulement sur le plan physique, mais sur tous les plans de la conscience. Cela veut dire être ouvert, vulnérable à la souffrance, ne pas se défendre contre la souffrance, mais vivre avec elle, l'embrasser, la regarder. Car vous souffrez maintenant. Vous souffrez du matin au soir, avec un rayon de soleil occasionnel, avec une éclaircie occasionnelle dans le ciel nuageux. Or, puisque vous souffrez, pourquoi ne pas considérer cela, pourquoi ne pas y entrer pleinement, profondément, complètement et le résoudre ? Cela n'est pas difficile. La recherche de Dieu est beaucoup plus difficile, parce que c'est l'inconnu, et vous ne pouvez pas aller à la recherche de l'inconnu. Mais vous pouvez rechercher la cause de la souffrance et la déraciner en la comprenant, en en étant conscient, non en la fuyant. Puisque vous avez fui la souffrance au moyen de différentes évasions, examinez toutes ces évasions, mettez-les de côté, et arrivez face à face devant la souffrance. En comprenant cette souffrance, il y a un affranchissement.
KRISHNAMURTI: POURQUOI DES GUIDES SPIRITUELS ? (Extrait de La Première et la dernière liberté, p.166-170)
Vous dites qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un gourou, mais comment puis-je trouver la vérité sans l'aide et l'assistance que seul un sage, un gourou, peut me donner ?
La question est de savoir si un gourou est nécessaire ou non. La vérité peut-elle être découverte par l'entremise de quelqu'un ? Les uns l'affirment, d'autres le nient. Nous voulons savoir où est la vérité. Il ne s'agit donc pas d'émettre des " opinions " contradictoires : je n'ai pas d'" opinions " à ce sujet. Il est nécessaire, ou il n'est pas nécessaire d'avoir un gourou ; l'une de ces deux assertions doit être vraie, et nous voulons savoir laquelle l'est, en fait, en réalité. Cela n'est pas une affaire d'opinion, quelque profonde, érudite, populaire, universelle qu'elle puisse être.
Tout d'abord, pourquoi voulons-nous un gourou ? Étant dans un état de confusion, nous disons que le gourou est une aide, qu'il nous indiquera la vérité, qu'il nous aidera à comprendre, qu'il connaît la vie beaucoup mieux que nous ; qu'il nous instruira à la façon d'un père, qu'il a une vaste expérience tandis que la nôtre est limitée, etc., etc. Le fait fondamental est notre état de confusion. Si tout était clair pour vous, vous ne vous approcheriez même pas d'un gourou. Si vous étiez profondément heureux, si vous n'aviez pas de problèmes, si vous compreniez la vie complètement, vous n'iriez consulter personne. J'espère que vous voyez ce que tout cela signifie. Parce que vous êtes dans la confusion, vous allez demander à un guide spirituel de vous indiquer une façon de vivre, d'éclairer votre jugement, de vous aider à trouver la vérité. Parce que vous êtes dans la confusion, vous choisissez votre gourou en espérant qu'il vous donnera ce que vous demandez. En fait, vous choisissez le gourou qui vous donnera la réponse que vous souhaitez, vous le choisissez selon la satisfaction qu'il vous apporte ; votre choix dépend de votre satisfaction. Vous n'allez pas chez celui qui vous dit : " ne comptez que sur vous-même ". Vous choisissez selon vos préjugés. Donc, puisque votre choix est déterminé par votre satisfaction, ce n'est pas la vérité que vous cherchez, mais une issue à la confusion ; et l'issue à la confusion est, par erreur, appelée vérité.
Examinons d'abord l'idée qu'un gourou peut éclaircir notre confusion. Celle-ci étant le résultat de nos réactions, qui donc pourrait l'éclaircir pour nous ? Car c'est nous qui l'avons créée. Pensez-vous que ce soient " tes autres " qui créent cette misère, cette bataille à tous les échelons de l'existence, en nous et hors de nous ? Cette confusion est le résultat de notre manque de connaissance de nous-mêmes : c'est parce que nous ne connaissons pas nos conflits, nos réactions, nos misères, que nous allons chez un gourou pour qu'il nous aide à en sortir. Mais nous ne pouvons nous comprendre que dans nos rapports avec le présent ; ces rapports mêmes sont le gourou et non pas quelqu'un en dehors de nous. Si je ne comprends pas mon monde de relations, tout ce que me dira un gourou sera inutile ; si je ne comprends pas mes relations avec les possessions, avec tes hommes, avec les idées, qui donc pourra résoudre ce conflit en moi ? Pour le résoudre, c'est moi qui dois le comprendre, ce qui veut dire que je dois être parfaitement conscient de ce qui se passe en moi, au cours de mes relations. Pour me percevoir tel que je suis, aucun gourou n'est nécessaire ; et si je ne me connais pas, de quelle utilité est le gourou ? De même qu'un chef politique est choisi par ceux qui sont dans la confusion, et dont le choix, par conséquent, est à l'image de cette confusion, ainsi je choisis un gourou. Je ne peux le choisir que selon ma
confusion : donc, tout comme le chef politique, lui aussi est dans la confusion.
L'important n'est pas de se demander si c'est moi qui ai raison ou celui qui dit qu'un gourou est nécessaire. L'important est de savoir " pourquoi " vous avez besoin d'un gourou. Les gourous existent pour exploiter les gens de différentes façons ; mais là n'est pas la question. Cela vous est très agréable d'avoir un guide spirituel pour vous dire que vous avancez dans la voie de la vérité ; mais la question n'est pas là non plus. "Pourquoi" avez-vous besoin d'un gourou ? Là est la clé.
Il peut arriver que quelqu'un vous indique le chemin, mais c'est à vous de faire tout le travail, même si vous avez un gourou. Ne voulant pas affronter ce fait, vous rejetez la responsabilité sur le gourou. Or, celui-ci devient inutile dès qu'il y a la moindre parcelle de connaissance de soi. Cette connaissance, aucun guide spirituel, aucune écriture sacrée, ne peuvent vous la donner. Elle vient lorsque vous êtes exactement conscient de ce qui se passe en vous, au cours de vos relations. Ne pas comprendre celles-ci - et en particulier vos rapports avec les possessions - est une source de souffrances, de confusion, et de conflits de plus en plus graves dans la société. Si vous ne comprenez pas l'état de vos relations avec votre femme, votre enfant, qui donc peut résoudre les conflits qui naissent de cette ignorance ? Et il en est de même de vos rapports avec le monde des idées, des croyances, etc. Étant partout dans Ja confusion, vous allez en quête d'un gourou. Si c'est un vrai gourou il vous dira de vous comprendre vous-mêmes. C'est " vous " la source de tous les malentendus, et vous ne pourrez résoudre ces conflits qu'en vous comprenant dans vos relations. Car " être " c'est être en relation.
Vous ne pouvez donc pas trouver la vérité ailleurs qu'en vous-mêmes. Comment cela serait-il possible ? La vérité n'est pas quelque chose de statique; elle n'a pas de demeure ; elle n'a ni fin ni but. Au contraire, elle est mouvante, dynamique, vivante. Comment pourrait-elle être une fin ? Si la vérité était un point fixe, ce ne serait pas la vérité, ce ne serait qu'une opinion. La vérité est l'inconnu et l'esprit qui la cherche ne la trouvera jamais, car tous les éléments qui le composent appartiennent au connu. L'esprit est le résultat du passé, le produit du temps. Vous pouvez l'observer vous-mêmes : l'esprit est l'instrument du connu, il ne peut donc pas découvrir l'inconnu ; il ne peut qu'aller du connu au connu. Lorsqu'il cherche la vérité, celle dont lui parlent des livres, cette vérité-là n'est qu'une projection de lui-même, car il ne fait que poursuivre un " connu ", un connu plus satisfaisant que le précédent. Lorsque l'esprit " cherche " la vérité, c'est une projection de lui-même qu'il cherche, et non la vérité. Un idéal n'est en somme qu'une projection, une fiction, une irréalité. Le réel est ce qui " est ", et non pas son opposé. Le Dieu auquel vous pensez n'est que la projection de votre pensée, le résultat d'influences sociales. Vous ne pouvez pas " penser " à l'inconnu, " méditer " sur la vérité. Dès que vous " pensez " à l'inconnu, vous avez affaire à une projection du connu. Vous ne pouvez pas "penser" à Dieu, à la Vérité. Sitôt que vous pensez, ce n'est pas la vérité. La vérité ne peut pas être recherchée : elle vient à vous. Vous ne pouvez poursuivre que le connu. Lorsque l'esprit n'est plus torturé par le connu, par les effets du connu, alors seulement la vérité se révèle. Elle est en chaque feuille, en chaque larme ; elle ne peut être connue que d'instant en instant. Personne ne peut vous conduire à elle ; si quelqu'un vous conduit, cela ne peut être que vers le connu.
La vérité ne peut se présenter qu'à l'esprit qui s'est vidé du connu. Elle vient lorsqu'on est dans un état d'où le connu est absent. L'esprit est l'entrepôt du connu, le résidu du connu ; et pour qu'il soit dans l'état où l'inconnu entre en existence, il doit être lucide en ce qui le concerne, en ce qui concerne ses expériences conscientes et inconscientes, ses réponses, ses réactions et sa structure. La totale connaissance de soi est la fin du connu et l'esprit est alors complètement vide de connu. Ce n'est qu'alors que la vérité peut venir à vous, non conviée. La vérité n'appartient ni à moi ni à vous. Vous ne pouvez pas lui rendre un culte. Aussitôt qu'elle est connue, elle est irréelle. Le symbole n'est pas réel, l'image n'est pas réelle, mais lorsqu'il y a compréhension de soi, lorsqu'il y a cessation de soi, l'éternité peut entrer en existence.
Krishnamurti: Mieux comprendre la mort (vendredi 30 mars 1984, Dernier journal, p.160-162, Editions du Seuil, 1997)
(...) Les enfants sont doués d'une extraordinaire curiosité. Si vous comprenez la nature de la mort, vous n'aurez pas à indiquer que tout meurt, que la poussière retourne à la poussière, mais, sans aucune peur, vous leur expliquerez doucement la mort. Vous leur ferez sentir que vivre et mourir ne font qu'un, ne sont qu'un seul mouvement qui ne commence pas à la fin de la vie après cinquante, soixante ou quatre-vingt-dix ans, mais que la mort est comme cette feuille. Voyez les hommes et les femmes âgés, comme ils sont décrépits, perdus, malheureux, comme ils sont laids. Serait-ce qu'ils n'ont pas compris ce que signifie vivre ou mourir ? Ils ont utilisé la vie, s'en sont servis, l'ont gaspillée dans le conflit sans fin qui ne fait qu'exercer et fortifier la personne, le moi, l'ego. Nous passons nos jours en conflits et malheurs de toutes sortes, parsemés d'un peu de joie et de plaisir, mangeant, buvant, fumant, dans les veilles et le travail incessant. Et, à la fin de notre vie, nous nous trouvons face à cette chose qu'on appelle la mort et dont on a peur. Et l'on pense qu'elle pourra toujours être comprise et ressentie en profondeur. L'enfant, avec sa curiosité, peut être amené à comprendre que la mort n'est pas seulement l'usure du corps par l'âge, la maladie, ou quelque accident inattendu, mais que la fin de chaque jour est aussi la fin de soi-même.
Il n'y a pas de résurrection, c'est là une superstition, une croyance dogmatique. Tout ce qui existe sur terre, sur cette merveilleuse terre, vit, meurt, prend forme, puis se fane et disparaît. Il faut de l'intelligence pour saisir tout ce mouvement de la vie, et ce n'est pas l'intelligence de la pensée, des livres ou du savoir, mais l'intelligence de l'amour, de la compassion avec sa sensibilité. Nous sommes tout à fait certains que si l'éducateur comprend la signification de la mort et sa dignité, l'extraordinaire simplicité de mourir — s'il la comprend, non pas intellectuellement mais en profondeur — il parviendra alors à faire saisir à l'étudiant ou à l'enfant que mourir, finir, n'a pas à être évité car cela fait partie de notre vie entière. Ainsi, quand l'étudiant ou l'enfant grandira, il n'aura jamais peur de sa fin. Si tous les humains qui nous ont précédés, de génération en génération, vivaient encore sur cette terre, ce serait terrible. Le commencement n'est pas la fin.
Et nous voudrions aider — non, ce n'est pas le mot juste — nous aimerions, dans l'éducation, donner à la mort une certaine réalité factuelle, non pas la mort d'un autre, mais la nôtre. Jeunes ou vieux, nous devrons inévitablement lui faire face. Ce n'est pas une chose triste, faite de larmes, de solitude, de séparation. Nous tuons si facilement, non seulement les animaux destinés à notre alimentation, mais encore ceux que nous massacrons inutilement, par divertissement — on appelle cela un sport. Tuer un cerf, parce que c'est la saison, équivaut à tuer son voisin. On tue les animaux parce que l'on a perdu contact avec la nature, avec les créatures qui vivent sur cette terre. On tue à la guerre au nom de tant d'idéologies romantiques, nationalistes ou politiques. Nous avons tué des hommes au nom de Dieu. La violence et la tuerie vont de pair
Et devant cette feuille morte dans toute sa beauté, sa couleur, peut-être pourrions-nous être conscients au plus profond de nous-mêmes, saisir ce que doit être notre propre mort, non pas à la fin ultime, mais au tout début de notre vie. La mort n'est pas une chose horrible, une chose à éviter, à différer, mais plutôt une compagne de chaque jour. De cette perception naît un immense sens de l'immensité.
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http://stehly.chez-alice.fr/krishnamurti1.htm
http://stehly.chez-alice.fr/krishnamurti4.htm
http://stehly.chez-alice.fr/krishnamurti5.htm